Je trouve cette expression totalement vide de sens et abstraite.
C’est quoi « faire son deuil » ? On « fait » un gâteau. On « fait » un marathon. On « fait » une belle carrière professionnelle.
Mais comment « fait-on » son deuil ?
En utilisant le mot « faire », on induit une notion d’action. Comme s’il fallait suivre un protocole bien précis d’actions à entreprendre pendant un certain temps (ah cette fameuse temporalité du deuil !) pour ensuite s’entendre dire, c’est bon, tu as fait ton deuil, tu as le droit de vivre à nouveau normalement.
Or on vit un deuil, on le ressent, on expérimente toutes les émotions négatives au creux de son corps et de son mental.
Il n’y a pas de notion d’action à entreprendre. Juste à vivre le moment et ceci même s’il est désagréable, déstabilisant, atrocement douloureux ou même inconcevable.
C’est pour cette raison que personne ne peut savoir ce que tu vis à l’intérieur de toi ou ressentir les émotions de la même façon que toi. Chacun vit son deuil avec une intensité et des réactions qui lui sont propres et qui sont liées à son histoire et à son éducation, ses liens avec le défunt, sa propre relation avec la mort ainsi que les circonstances de la mort.
Les mots que nous utilisons quotidiennement ont leur importance et dévoilent comment nous considérons le concept de la mort et du deuil.
Dans une société qui nous incite toujours plus à faire et non pas à être, la notion de deuil n’échappe pas à la règle. Il faut faire son deuil. Et dans un délai raisonnable si possible afin de ne pas parasiter l’entourage et les proches avec une tristesse trop prégnante.
Et si au lieu de dire « faire son deuil », nous disions « être en deuil ». On parle bien alors de ressentis au sein de son être. L’idée de s’activer pour aller au bout du processus disparaît. Si la notion de processus, de cheminement obligatoire n’est plus de mise, celle de la temporalité non plus. Cette fameuse année soi-disant nécessaire pour faire son deuil et reprendre ensuite le cours de sa vie.
Lorsque je suis en deuil, je ne compose pas avec la mort de mon proche. Je compose avec son absence. Or cette absence est définitive. On peut donc considérer que je serai pour toujours en deuil puisque je ne retrouverai jamais cette personne.
Le deuil n’a ni temporalité ni règles à respecter.
Chacun est libre de vivre son deuil à sa façon. Pleurer, crier, se recroqueviller sur soi, rire, hurler, chanter, voyager, se perdre dans le travail, se lancer de nouveaux défis, porter du noir ou porter des couleurs vives, sourire, être en colère….toutes ces réactions sont légitimes et en tant que telles, elles sont respectables. Et devraient donc être tolérées voire même normalisées par notre société et ceci quelle qu’en soit la durée.
Imposer une durée arbitraire de 12 mois pour « faire » son deuil est une des nombreuses injonctions sociétales. Alors que chaque deuil est vécu de façon unique par le proche, pourquoi faudrait-il qu’il vive un cheminement d’une durée identique à celui de son voisin ?
Etre confronté au décès de son bébé, de son enfant est une épreuve atroce. Tout comme perdre un parent, un frère ou un grand-parent ou même son animal de compagnie.
Pourtant chacun le vivra à sa façon, différemment des autres et avec une temporalité qui lui est propre.
Arrêtons de normer des processus humains et donc par définition hétéroclites.
Ne faudrait-il pas plutôt offrir des espaces de libération de la parole où chacun peut exprimer son vécu et ses ressentis sans crainte du jugement ou des critiques ?
Et offrir la possibilité de parler de la mort tout comme nous parlons de la vie ?
Ne devrait-on pas plutôt offrir soutien et bienveillance aux personnes confrontées à un deuil ?
Et ainsi, faire montre d’humanité au moment où nous en avons le plus besoin ?